Dan Frank « le temps des Bohèmes »… Pour tous ceux qui trouvent la vie d’aujourd’hui austère, emprunte de fatalisme, tragique, trop politiquement correcte, engluée dans l’ultra libéralisme vainqueur où dans la vie quotidienne la fantaisie fait défaut , gommée par « la société du spectacle » et le mercantilisme, un remède, mieux, une cure de bonheur existe, ce bienfait a un nom, un titre : « Le temps des Bohèmes » de Dan Franck.
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Cet ouvrage réunit trois récits
Bohèmes (1998)
Libertad (2006)
Minuit (2010)
Dan Frank fait revivre tout d’abord une époque, le début du XXe siècle, la Grande Guerre et l’entre deux-guerres; des lieux : Montmartre et son célèbre Bateau-Lavoir de la rue Ravignan, puis Montparnasse et La Ruche ; les personnages : ils ont pour nom Jarry, son hibou et ses revolvers, Picasso sympathisant anarchiste, Apollinaire l’érotomane, Max Jacob et ses hommes, Modigliani et ses femmes, Aragon le flambeur, Soutine le solitaire, Man Ray, Braque, Matisse, Breton et les autres…
Au fil des pages, Dan Frank donne vie à tous ces personnages – semblables et différents à la fois – tous habités, tourmentés par l’œuvre portée en eux, tout en sachant goûter aux plaisirs de la vie. Il nous les rend attachants dans leur célébrité, mais aussi avec leur petitesse et leur égoïsme. Au fil des années leur mentalité se transforme, leur mode de vie change, avec l’argent qui coule à flot, on achète hôtel particulier, on roule en Bugatti, mais après tant d’années de misères certains ne sauront pas gérer cette nouvelle situation. Dan Franck nous montre les ravages de l’alcool mêlé à la drogue qui mènent jusqu’à la déchéance totale un Modigliani figure emblématique de cette époque. Nous entrons dans l’intimité de Picasso, au jour le jour, d’abord dans son galetas du Bateau-Lavoir, sans aucun confort, puant la misère et les premiers contrats avec les marchands, puis la consécration, quand l’américain Barnes, à sa première visite à Paris rafle toute sa production, l’apothéose avec son œuvre maîtresse : « Les demoiselles d’Avignon » et l’invention du cubisme. L’amitié créatrice qu’il entretient avec Georges Braque éclaire ces années riches en œuvres fondatrices de l’art nouveau, jusqu’au moment où Braque est mobilisé en 1914 pour partir au front quand l’artiste espagnol échappera à cette mobilisation du fait de son statut d’étranger. Leur amitié ne survivra pas à cette différence de traitement. De même l’amitié entre Picasso et Apollinaire finira tragiquement par la mort du poète en novembre 1918, victime de la grippe espagnole, lui qui, au front, avait survécu à une blessure à la tête et avait été trépané.
Le fils de Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, le compagnon aviné de Modigliani, survivra à la mort de son ami et ira d’une cure à l’autre en quête d’une désintoxication efficace et qui, finalement, sera sauvé par la seule peinture.
La vie à Montparnasse ne sera pas en reste de fêtes Une figure émergera, celle de Kiki surnommée « Kiki de Montparnasse », égérie et modèle, maîtresse
de Man Ray et pilier des nuits de Montparnasse. Ces excentricité raviront les fêtards des cabarets du quartier, entourés des nouveaux venus, les artistes américains : Hemingway, Scott Fitzgerald. Ces deux-la passent leurs journées dans un bar de la rue Delambre, faisant de ce lieu comme une ambassade des américains à Paris. Pour se souvenir de ces bons moments Hemingway écrira « Paris est une fête ».
Mais il ne faut pas oublier tous ces artistes venus de l’Est comme Soutine, Kikoïne et le sculpteur Zadkine. Il faut dire qu’à cette époque Paris opérait une réelle fascination sur tous les artistes à-travers l’Europe et qu’ils soient russes, polonais ou lituaniens, le rêve de tous était de venir s’installer soit à Montmartre soit à Montparnasse, quitte à connaître la plus noire des misères à l’exemple de Soutine qui est décrit ici comme celui qui fut le plus pauvre parmi les plus pauvres, qui connut la gloire et la fortune et qui vécut mal l’état d’homme riche, habité qu’il fut d’une rage destructive de sa propre œuvre rachetant – à bons prix – ses premiers tableaux pour ensuite les détruire, systématiquement, mû d’une sorte de folie inexplicable…
La suite?
Libertad!, récit sur la guerre d’Espagne, la montée du fascisme et les exactions du stalinisme. Avec, en toile de fond, une évidente tendresse pour les libertaires et tous les hommes libres. Dan Franck, enthousiaste et volubile entend mener un combat, «défendre une conception du monde», affirmer que l’on ne peut s’en sortir que par l’art: «Le salut politique, c’est l’art! C’est dire les choses de façon libre comme Malraux, Gide ou Regler.» Mais Libertad! est bien plus qu’un simple document engagé. C’est une fresque vivante et foisonnante de l’entre-deux-guerres, la «biographie» d’une époque plus que celle d’un seul homme: Gala passe des bras d’Eluard à ceux de Dalí, Breton règne en despote sur le petit monde du surréalisme, Gide pontifie aux obsèques de Maxime Gorki, Paul Claudel s’érige en gardien de la morale chrétienne, Hemingway se brouille avec son grand ami Dos Passos, Malraux s’engage en Espagne, Aragon vend son âme à Staline pendant que Picasso peint et qu’André Friedmann, devenu entre-temps Robert Capa, photographie tout ce qui bouge et meurt.
Artistes, écrivains, journalistes et philosophes se croisent, s’admirent, se détestent ou se réconcilient entre Paris, Moscou, Berlin et Madrid. C’est parce qu’il estime que «l’histoire n’est jamais le fait d’un seul homme», que Dan Franck s’attache à narrer leurs rencontres, parfois improbables, souvent croustillantes, mais toujours vérifiables, à l’instar du fameux dîner entre Gide, de retour d’URSS, et Malraux, qui rentre d’Espagne. Ce qui intéresse l’écrivain, c’est de découvrir comment et pourquoi ils se rencontrent, ce qui les rapproche ou les oppose. Dan Franck cherche à comprendre, à établir le rôle de chacun durant cette période troublée: Pourquoi Malraux s’est à ce point investi dans la guerre d’Espagne, pourquoi Hemingway va jusqu’à casser la gueule à son copain Dos Passos, pourquoi Picasso est parti en vacances juste après avoir peint Guernica, pourquoi les peintres (à l’exception de Dalí, de Miró ou de Juan Gris) sont absents de la scène politique, pourquoi Aragon a été aussi lâche?
Dan Franck déboulonne quelques statues? Tant mieux.
Troisième époque: Minuit.
« La guerre – celle-ci ou une autre – cela équivaut à l’éclipse de toutes les choses de l’esprit », dira André Breton. Mais une éclipse dure plus ou moins longtemps… Le récit de Dan Franck commence par la confession, au procès de Nuremberg, de Jodl, chef d’état-major des opérations militaires allemandes : « Si nous ne nous sommes pas effondrés dès 1939, cela est dû uniquement au fait que pendant la campagne de Pologne les 110 divisions françaises et britanniques à l’Ouest sont demeurées absolument inactives en face des 23 divisions allemandes. » Et Dan Franck de poser cette question glaçante : « S’ils avaient eu connaissance de cette vérité d’ordre militaire, les Munichois et les pacifistes d’avant guerre auraient-ils changé leur fusil d’épaule ? » Mais on ne peut comprendre la résistance ou la collaboration des plus grands esprits du XXe siècle à l’aune de déclarations postérieures. Dan Franck le sait, qui se contente de raconter. Et c’est déjà
Il était minuit dans le siècle… La nuit tomba le 17 juin 1940, le jour où un vieillard tremblant prononça ce mot fatal, « armistice » ; elle ne se dissipa qu’au matin du 15 août 1944, au bar du Ritz, lorsqu’un écrivain ivre mort – Ernest Hemingway – rencontra un écrivain mythomane – André Malraux. Une longue nuit, de la conscience, de la responsabilité de la raison, de l’intelligence. On dit que c’est la nuit que se mesure le courage ou la lâcheté. Où étaient les intellectuels, écrivains, peintres, comédiens, musiciens, pendant cette longue nuit ? Dan Franck répond, sans jamais juger, en un récit passionnant, l’épopée des écrivains, des artistes et des intellectuels sous l’Occupation. Sartre et Beauvoir, Camus, René Char, Vercors, Aragon et Elsa, Prévert, Desnos, Saint-Exupéry, Drieu La Rochelle, Picasso, Prévert, Cocteau et tant d’autres : la France qui écrit, peint, dessine, filme, joue, publie, collabore, résiste, s’accommode. De Paris à Marseille dans la débandade de l’exode, de Marseille à New York dans les bateaux de l’espoir, de Paris à Berlin dans les trains de la honte, des gares de la déportation aux camps de la nuit et du brouillard, autant de destins d’une génération dont la tragédie de l’Histoire a transformé la vie en roman. “Minuit” court de la débâcle de 1940 à la Libération.
Ses personnages sont inoubliables : traîtres et héros, petites mains, grandes plumes. André Malraux et la belle Josette Clotis, qui mourra les jambes tranchées sous un train. Sartre qui écrit au Flore, cigarette à la main, sur l’engagement et sur l’être. Louis Aragon, Picasso, Marguerite Duras rue Saint-Benoît, mais aussi Jean Prévost, mort au maquis, ou Saint-Exupéry, pataud et courageux. Jeanson et Desnos, rebaptisant « Je suis partout » en « Je chie partout »,les résistants de la première heure René Char, Jean Prévost…
Une grande partie de la France qui peint, écrit, dessine, semble « faire avec ». Parfois elle trahit. Souvent elle collabore. L’horrible Jouhandeau crache sa haine. Drieu la Rochelle ne peut plus « baiser sa femme, parce qu’elle est juive. » Editeurs en quête de papier, les amis des vert-de-gris les éditeurs Grasset et Denoël en tête, contorsionniste de génie: Jean Paulhan, dévots de Pétain : Paul Claudel, cinéastes qui se cherchent de la bobine, écrivains apeurés, aventuriers ou coureurs, héros anonymes ou presque, comme Jean Desbordes, romancier mort sous la torture et qui ne parla pas, toutes ces figures font un livre fulgurant de vérité. C’est vrai, la France de “Minuit” est sombre et sans légende.
Mais… impossible d’oublier Marc Bloch, sublime figure que Dan Franck nous fait connaître et aimer. Tout comme les réfugiés, moins connus, allemands notamment, Franz Werfel et Alma Mahler, Arthur Koestler, Manes Sperber et tant d’autres…Ainsi défilent en des pages superbes les exilés d’Europe de l’Est (Lion Feuchtwanger, Walter Benjamin, Alma Mahler…), le réseau d’exfiltration marseillais de l’Américain Varian Fry, , les martyr de l’Allemagne: Max Jacob.
Voilà le grand roman de la vie intellectuelle sous l’Occupation.
Vous avez compris que ce livre m’a touché au point que je vante ses qualités à tous mes amis et je ne crois pas qu’ils regrettent sa lecture.
Je ne serais trop vous conseiller de vous plonger dans ce récit et dans savourer les nombreux instants de bonheur.
Si vous souhaitez compléter la lecture de cet ouvrage, je vous conseille la biographie de Pablo Picasso par Pierre Cabanne en livre de poche folio essai (3 tomes)
le livre de Georges Orwell « hommage à la catalogne » (10/18)
« La guerre d’Espagne » d’Antony Beevor (le livre de poche)
intellectuels et artistes sous l’occupation : Et la fête continue de Alan Riding (Champs histoire)
Dan Franck a également publié en collaboration avec Jean Vautrin les aventures de Boro reporter photographe (8 vol.) :
- La dame de Berlin
- le temps des cerises
- les noces de guernica
- Mademoiselle Chat,
- Boro s’en va-t-en guerre,
- Cher boro
- La fête à Boro
- La Dame de Jérusalem.
Roland Ezquerra
Artiste
Je suis né en 1958 à Tarbes, et aussi loin que je me souvienne j’ai toujours été attiré par les disciplines artistiques.
La première à m’avoir marquée fut la musique qu’écoutaient mes parents ou ma grande sœur, Edith Piaf côtoyait Elvis Presley, les Beatles suivaient Ferrat et Louis Armstrong succédait à Brel.
J’eus la chance très tôt de découvrir la littérature grâce à une librairie du quartier Sainte Anne qui faisait office de bibliothèque de prêt où les membres de ma famille s’approvisionnaient en lecture régulièrement. J’étais aussi très intéressé par le dessin que j’aimais pratiquer.
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