L’abstraction n’est ni un renoncement au réel ni un jeu de formes détaché du sens. Elle est un langage de l’indicible, une transcription des tensions intérieures en matière et lumière. Je ne l’aborde pas comme une dissolution, mais comme une concentration : un épurement du visible pour en extraire l’essence.
Si la photographie en noir et blanc et la peinture figurative permettent une saisie du monde dans sa présence, l’abstraction ouvre une brèche vers l’invisible, vers ce qui palpite sous la surface des choses. Elle est une manière de dire autrement ce que les mots peinent à contenir : une émotion brute, une absence transfigurée, une mémoire fragmentée recomposée par le geste.
Mes créations abstraites portent toujours la trace du sensible. Elles ne sont jamais froides ni désincarnées ; elles vibrent d’une tension entre forces contraires, comme une lutte entre ombre et lumière, entre construction et effacement. J’y cherche un équilibre, mais un équilibre instable, toujours en devenir, comme si chaque œuvre était le moment suspendu d’un mouvement plus vaste, une respiration arrêtée juste avant qu’elle ne bascule dans le silence.
Je travaille l’abstraction avec la même exigence que la photographie en noir et blanc : en sculptant les contrastes, en explorant la matière, en traquant cette part de vérité qui ne se livre qu’à celui qui sait regarder au-delà de la surface. Loin d’être une fuite, c’est une exploration plus intime, un dialogue direct avec l’inconscient, où la forme naît de la nécessité et non du hasard.
Je n’ai pas d’atelier encombré de toiles et de pigments ; ma palette est numérique, mais l’essence du geste demeure. L’outil ne définit pas l’œuvre, seule l’intention compte. La lumière, qu’elle soit captée par l’objectif ou façonnée par un tracé, reste mon véritable médium.
En somme, l’abstraction est un dévoilement. Elle ne masque rien ; au contraire, elle révèle ce que l’image figurative ne saurait toujours capter : l’intensité d’un instant, la persistance d’une émotion, la lumière malgré tout.
Illustrations « Interstelllaire 1,2,3,4,5,6,7,8,9,10 de Roland Ezquerra © 2024