David Bowie, le Dorian Gray de la pop anglaise
David Bowie semblait immortel. Éternellement jeune, éternellement élégant, éternellement créatif. Il laisse derrière lui une œuvre colossale. Son parcours personnel se confond avec les cinquante dernières années de l’histoire occidentale. Mieux que quiconque il comprit la transformation du domaine culturel en une industrie de divertissement de masse. Plutôt que de subir la société du spectacle, il sut la confronter, l’utiliser et la défier. Son approche était totalitaire, totalisante, comme pour mieux interroger l’entreprise d’hébétude de la culture de masse. Lui, au moins, en avait conscience.
Bien plus qu’un simple chanteur pop, David Bowie était et restera un artiste iconique de son époque. Un artiste irréductible à la seule musique rock anglaise des années 1960 jusqu’à nos jours. Il explose le cadre dans lequel il est apparu. Homme influencé par les artistes de son temps ( Lou Reed, Iggy Pop, Peter Hammill du groupe Van Der Graaf Generator, King Crimson ou bien encore la musique noire américaine de ces années là), David Bowie fut aussi une influence pour de nombreux mouvements de la fin des années 1970, à commencer par les mouvements punk et post-punk. Des groupes comme The Cure, Siouxsie And The Banshees, Joy Division ou Japan en sont les preuves manifestes. Il est la synthèse, de Londres, où il est né, à New York, où il s’est éteint, de toutes les tendances de la «pop culture », d’Andy Warhol à Damien Hirst, en passant par Marcel Duchamp, Man Ray, William Burrough, Rauschenberg, Lichtenstein ou Basquiat.
Artiste aux nombreuses facettes, complet et polyvalent, amoureux de la métamorphose et protéiforme au point qu’on le qualifia souvent de «caméléon», il se plaisait aussi à multiplier, jusqu’à les confondre parfois avec sa propre personne, y compris dans son transformisme vestimentaire, les personnages ainsi qu’en témoignent, parmi tant d’autres, son Major Tom de «Space Odity», son très décadent Ziggy Stardust ou son très sulfureux Aladdin Sane. C’est là, cette diversité des personnages au sein d’un même être, la thématique – autre prérogative du dandysme – du masque, liée à l’art de cultiver le secret: «Tout esprit profond a besoin d’un masque», écrivait Nietzsche dans son Par-delà bien et mal.
C’est là, encore, ce qu’Oscar Wilde, l’une des principales sources d’inspiration de David Bowie en matière d’esthétique, appelait la «vérité des masques».
Chaque pose (à ne pas confondre avec «posture») de Bowie porte la griffe dandy qui la caractérise: la tendance à vouloir transmuter une vie en œuvre d’art; la multiplication des doubles et des masques; la fascination envers le «troisième sexe» l’hédonisme transgressif; l’exercice d’une lucidité confinant à l’héroïsme pour combattre la souffrance et s’autoriser à clamer au seuil du néant: «Mort, où est ta victoire?»la sublimation en astre noir, en Blackstar se consumant d’une flamme inverse, pour l’éternité. .
Si cette immense rock star, créateur de génie et déjà mythe de son vivant, semblait immortelle, défiant jusqu’aux cruelles mais impérieuses lois de la finitude humaine, c’est qu’il incarnait à merveille, plus que tout autre artiste, la quintessence du dandysme: un mode d’être plus qu’être à la mode. Bowie, dandy absolu!
Hyper dandy indémodable, sinon éternel, parce qu’il avait réussi à incorporer la principale caractéristique du dandysme: faire de sa vie une œuvre d’art et de sa personne une œuvre d’art vivante comme l affirme Oscar Wilde, dans Formules et maximes à l’usage des jeunes gens: «Il faut soit être une œuvre d’art, soit porter une œuvre d’art.». C’est là aussi ce que Lord Henry Wotton, son alter ego littéraire, préconise dans Le Portrait de Dorian Gray : « Il arrive qu’une personnalité complexe prenne la place et joue le rôle de l’art, qu’elle soit en vérité, à sa façon, une véritable œuvre d’art, car la Vie a ses chefs-d’œuvre raffinés, tout comme la poésie, ou la sculpture, ou la peinture.»
Etre charismatique et sophistiqué, racé et d’une rare distinction, tant dans sa gestuelle que dans sa voix et tant dans ses poses que dans sa silhouette – en un mot, dans son allure -, n’aurait pas désavoué ce que Charles Baudelaire écrivait dans LePeintre de la vie moderne : «C’est bien là cette légèreté d’allures, cette certitude de manières, cette simplicité dans l’air de domination, cette façon de porter un habit (…), ces attitudes toujours calmes mais révélant la force (…) de ces êtres privilégiés en qui le joli et le redoutable se confondent si mystérieusement». Il existe bel et bien, un mystère Bowie, que nul, probablement, ne percera jamais véritablement. Ce perpétuel innovateur, toujours en quête d’inventions, a sans cesse intrigué par son avant-gardisme.
Mais le dandysme, c’est aussi la révolte par l’élégance: Rebel Rebel chantait David Bowie , et un dernier éclat d’héroisme.
Oui, comme le chantait magnifiquement bien Bowie en l’un de ses meilleurs albums, Heroes, conçu durant ses années berlinoises: «We can be heroes. Just for one day». Il semblait répondre là, comme en un romantique quoique tragique écho, à ce que clamait déjà haut et fort, un siècle avant lui, Baudelaire: «Le dandysme est le dernier éclat d’héroïsme». Mais ce n’est là, hélas, que littérature, fût-elle la plus sublime qui soit! Car même David Bowie, que l’on croyait pourtant immortel, éternellement jeune et beau, malgré l’incurable cancer qui le rongeait inexorablement, s’en est allé en ce funeste jour que fut le dimanche 10 janvier 2016
Aujourd’hui, son ultime chef d’œuvre, Blackstar, sorti deux jours seulement avant son décès, sonne plus que jamais, dans sa sombre flamboyance, comme un terrible présage, chant funèbre tout autant que testament spirituel : le talent de David Bowie, prémonitoire une fois de plus, consista aussi à mettre en scène, ainsi que le donne à voir ce clip somptueux mais saisissant de réalisme mortifère, qu’est Lazarus, sa propre mort, à l’instar de Mozart, autre génie de la musique bien qu’en un tout autre registre, avec son Requiem.
Sa mort, n’a fait qu’accroître son aura à travers le monde. Artiste culte, musicien incontournable, dandy inspiré, il continue d’exercer une énorme influence sur des générations entières. Il était donc temps de rendre à cet inventif génie, précurseur de bien des modes, l’éloge qui lui est dû !
Roland Ezquerra
Artiste
Je suis né en 1958 à Tarbes, et aussi loin que je me souvienne j’ai toujours été attiré par les disciplines artistiques.
La première à m’avoir marquée fut la musique qu’écoutaient mes parents ou ma grande sœur, Edith Piaf côtoyait Elvis Presley, les Beatles suivaient Ferrat et Louis Armstrong succédait à Brel.
J’eus la chance très tôt de découvrir la littérature grâce à une librairie du quartier Sainte Anne qui faisait office de bibliothèque de prêt où les membres de ma famille s’approvisionnaient en lecture régulièrement. J’étais aussi très intéressé par le dessin que j’aimais pratiquer.
En savoir plus…