
N’attendez pas de moi que je me conforme à vos attentes.
Elles ne sont que le miroir d’un monde qui m’est étranger, un monde verrouillé dans la quête illusoire du confort et de l’apparence. Vous voudriez m’assigner une place dans ce théâtre bien ordonné où les rôles sont distribués d’avance : celui du citoyen docile, du penseur édenté, de l’artiste convenable. Mais je refuse d’être l’acteur d’une farce où la morale, dénaturée et aseptisée, se tient à distance du réel, où l’on redoute l’adversaire comme une menace et la vérité comme une blessure.

Je ne vis pas dans vos certitudes bourgeoises, ni dans vos salons où le chaos est exilé au profit d’une sérénité factice. Ce chaos, je l’accueille, en moi comme autour de moi, non pour m’y dissoudre, mais pour m’y retrouver. Il est une lumière brutale, une vérité sans masque qui me fixe droit dans les yeux. Vous l’évitez, vous le fuyez, parce qu’il défait vos artifices et expose vos fragilités. Mais moi, je m’y confronte. Ce que vous nommez désordre est pour moi une invitation à dépasser les surfaces, à plonger dans les profondeurs.

Ma liberté ne s’évalue pas à l’aune de vos standards, et encore moins à votre définition du Bien. Vous voudriez m’imposer une idée du Bien qui n’a d’universel que le nom : un Bien forgé par la peur, façonné par les convenances. Mais si le Bien existe, il se trouve bien au-delà de vos règles humaines. Il surgit dans l’épreuve, dans la confrontation, dans ce vacillement où l’âme, mise à nu, s’entrevoit pour la première fois.

Je ne suis pas ici pour plaire, pour rassurer, ni pour me plier à vos dogmes dissimulés sous des discours édulcorés. Je suis ici pour être — être pleinement — avec mes ombres et mes lumières, avec mes luttes et mes chutes. Car c’est dans cette traversée du chaos que se joue l’essentiel : la rencontre avec ce qui dépasse l’homme et l’ouvre à l’infini.

La liberté véritable est une ascèse, non une complaisance. Elle n’est pas un abandon aux penchants ni une soumission aux injonctions sociales. Elle est un appel à se tenir debout face au chaos, à l’adversité, à cette obscurité qui habite chacun de nous. Elle est une offrande : celle de soi-même, au bord de l’abîme, à une vérité qui nous dépasse et nous déchire.

Laissez-moi le droit d’errer, de douter, de m’écorcher à la réalité. Laissez-moi tracer mon chemin à travers le tumulte, car c’est là que naît l’authenticité. Et si je dois tomber, ce ne sera pas parce que j’aurai fui, mais parce que j’aurai osé avancer.

Ma liberté, au fond, n’a que faire de vos jugements. Elle n’est ni une conquête extérieure ni une conformité intérieure. Elle réside dans cet instant fragile, suspendu entre la peur et l’audace, où l’être devient une flamme offerte au silence.


Illustrations
1: Laissez-moi le chaos de Roland Ezquerra ©2025
2,3,4,5 et 6 : Lux aeterna de Roland Ezquerra ©2024
7: I see a darkness de Roland Ezquerra © 2025 inspirée par la chanson éponyme de Will Oldham (Bonnie ‘Prince’ Billy) sur l’album « I see a darkness » de 1999 dans la version chantée par Johnny Cash sur l’album American III: Solitary Man, sorti en 2000.
8: Delirium tremens de Roland Ezquerra © 2024
9: You wan it darker de Roland Ezquerra © 2025 inspirée par la chanson éponyme de Léonard Cohen et Patrick Léonard sur l’album » You Want It Darker » 2016