James Lee Burke écrit des polars depuis la fin des années 70 et il a fallu que Bertrand Tavernier adapte un de ses romans au cinéma (Dans la brume électrique) pour que les rayons des librairies se remplissent des ses ouvrages.

Il est né le 5 décembre 1936 à Houston et il porte encore sur lui Stetson blanc, Santiags, même s’il a passé son enfance sur la côte entre le Texas et la Louisiane. Après avoir étudié à la Southwestern Louisiana Institute, il entre à l’Université du Missouri d’où il sort diplômé. Il a exercé de nombreux métiers (dans l’industrie du pétrole, comme journaliste ou comme assistant social) .

Louisiane

Jazz band

Parfois surnommé le «Faulkner du polar», Il est considéré comme un des plus importants auteurs américains de romans policiers et particulièrement connu pour sa série mettant en scène Dave Robicheaux. Sa carrière ne s’est pas faite en un jour, puisqu’il lui a fallu plus de 13 ans de tentatives infructueuses avant qu’un éditeur accepte enfin de publier son premier roman. Sous un physique de cow boy, c’est un intellectuel qui cite volontiers Camus, George Bernard Shaw, Thomas Malory ou Socrate. Il est très attaché à la culture et à la langue française, qui malheureusement, d’après lui, disparaissent en Louisiane, pays dont il dit que les gens sont très durs, mais aussi très courageux. Il affectionne particulièrement New Iberia et le Bayou Teche, où il situera les aventures de son héros Dave Robicheaux. Parmi les sujets qui lui tiennent à cœur, la violence qu’il considère comme une défaite, n’hésitant pas à dire que la Louisiane est un pays où aujourd’hui on fait des affaires à coup de batte de baseball, l’environnement, particulièrement malmené dans ce pays qu’il considère comme un lieu festif et inconscient, à l’ambiance tropicale, mais aussi comme une oligarchie pétrochimique sans scrupules. James Lee Burke parle ainsi de la Louisiane : « La Louisiane est la poubelle de l’Amérique, son histoire est une tragédie. Pour moi, c’est comme être témoin chaque jour d’un crime dont je sais que, de mon vivant, il ne sera pas puni. »

Louisiane

Promenade nocturne

J’ai eu l’occasion de commencer à lire un premier livre de Burke après avoir vu le film de Tavernier dans lequel le personnage de Robicheaux est interprété par Tommy Lee Jones En réalité, lorsqu’on remonte en arrière jusqu’au premier volume de la série, c’est plutôt un personnage à la Dennis Hopper dans les années 80 qui vient à l’esprit et qui colle le mieux à ce flic atypique.

 

Dave Robicheaux, policier à l’américaine est un justicier idéaliste, ancien lieutenant de police reconverti dans la location de bateaux et la vente d’appâts pour la pêche, il travaille au service du shérif local, en Louisiane, dans sa paroisse de New Iberia où les influences des anciens colons européens sont en permanence rappelées au lecteur par des allusions fines ou des expressions en français dans le texte. Là-bas, un flic peut tout aussi bien être engagé au sein de la police municipale le lundi et se retrouver à vendre des vers de terre dans une boutique de pêche le vendredi, dans la mesure où ça n’est pas un diplôme de l’école de police qui compte pour ce job, mais les années passées à «casser du Viet» et où les rapports sont souvent tendus avec une hiérarchie elle-même sous la tutelle d’élus locaux. Quand il était inspecteur à la police criminelle de La Nouvelle-Orléans, Robicheaux enfreignait régulièrement la déontologie policière au cours de ses enquêtes – apparemment sans répercussions sur sa carrière. Il a surmonté son alcoolisme, dans lequel il avait sombré à cause de l’expérience traumatisante qu’a été pour lui la guerre du Viêt Nam ; cependant il traverse toujours des phases de dépression assorties de cauchemars, qui se sont aggravées depuis l’assassinat de sa femme Anne Ballard, une assistante sociale. Il a récemment épousé la veuve d’un mafieux, Bootsie, atteinte d’un lupus. Après l’avoir sauvée de la noyade, il a recueilli une orpheline salvadorienne, Alafair (le nom de la propre fille de Burke), et l’a adoptée. Clete Purcell en est l’ami fidèle, son miroir caricatural.

Tony Joe White

Chanson de Tony Joe White

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Il est intéressant d’essayer de lire les romans mettant en scène Robicheaux dans l’ordre proposé, car ils se suivent chronologiquement et font appel à des événements réels. Ainsi on comprend mieux l’évolution du personnage principal et de son entourage, notamment Batist (un Noir qui tient sa boutique de pêche et de location de bateaux), Bootsie (sa dernière compagne), Alafair (sa fille adoptive, une gamine que l’on voit grandir d’épisode en épisode), et l’inénarrable Clete (détective truculent et grand fouteur de merde devant l’Éternel)…Une des particularités de M. Robicheaux, c’est de passer de l’état de Docteur Jeckyll à celui de Mr Hyde en quelques secondes, sans qu’on sache trop pourquoi. Le voilà qui discute tranquillement au bar, devant un Dr Pepper, boisson typique de l’alcoolique repenti… et vlan ! Un bourre-pif à son voisin qui a le malheur d’être un abruti sans humour ou je ne sais quel autre mafieux. On sent que cet auteur n’est pas indifférent au plaisir de décrire une bonne castagne, mais qu’en même temps il a envie de nous faire partager le quotidien d’un type plutôt sympa, voire bien élevé puisqu’il râle lorsqu’Alafair prononce un gros mot.

rock et tradition louisianaise

Swamp rock

Peut-être y a-t-il du James Lee Burke dans ce Dave Robicheaux, car l’interview que l’on peut voir en bonus du DVD du film de Tavernier laisse à penser que c’est un auteur qui a du caractère, qui aime passionnément le coin où il vit, qui râle volontiers devant le manque de réactivité des hommes politiques après l’ouragan qui a dévasté la Louisiane et qui est prêt à prendre fait et cause pour la défense de son environnement.

Nu du bayou

Nu du bayou

Oublions maintenant le personnage pour parler du style de l’auteur, que certains qualifient de faulknérien cratérisé par une esthétique des mots pour décrire son environnement souvent embrumé et rempli de cris d’animaux dans le bayou, au plus profond des marécages, au milieu des lacs et dans les patelins où il nous promène, des passages oniriques pour évoquer l’histoire, vraie et fantasmée, d’une région qui a connu la guerre civile et qui en a conservé de profondes cicatrices. Un livre de Burke, ça sent quelque chose, les corps transpirent, on entend de la musique – du blues, du jazz… et les colts 45.

On connaît deux adaptations cinématographiques, dont celle récente de Tavernier (Dans la brume électrique) et une de 1996 signée Phil Joannou (Vengeance froide). Dans les deux cas, la Louisiane est mise en valeur par un choix de décor bien adapté. En revanche, le personnage de Dave Robicheaux est interprété de façon bien différente selon les metteurs en scène. D’ailleurs, dans un cas comme dans l’autre, il semble qu’ils ne correspondent pas tout à fait au personnage décrit par James Lee Burke. Dans le film de Tavernier, Tommy Lee Jones a le style (physique, vestimentaire, nonchalance) qui se rapproche du héros originel, alors que Alec Baldwin nous la fait typiquement à l’américaine, le héros super-actif, qui court dans tous les sens, qui crie pour un oui, pour un non… En tout cas, les deux acteurs ont repris l’idée proposée par James Lee Burke : la violence en soi est déjà un échec.

Dr. John, né sous le nom de Malcolm Rebennack le 21 novembre 1940 à La Nouvelle-Orléans, Louisiane

Dr John

 

Cet antihéros, luttant contre la tentation de l’alcool et les démons d’un passé ténébreux, n’est pas sans parentés avec le shérif du roman noir 1 275 âmes (1966), de Jim Thompson, que Bertrand Tavernier avait adapté avec Coup de torchon (1981) : même obsession de faire régner la loi dans un univers gangrené par la corruption, de débarrasser la terre des détraqués, vermines et pollueurs d’un paradis perdu ; même profil d’homme blessé, atteint d’une « cirrhose de l’âme », en proie à des visions et hanté par une sourde culpabilité, un besoin de rédemption qu’alimentent une foi catholique et un remords obscur.

Tavernier nous invite à une sorte de coup de torchon dans les bayous en s’emparant de l’intrigue de «Dans la brume électrique avec les morts confédérés», en conjuguant son propre univers et celui de l’un des grands auteurs de thrillers d’aujourd’hui, mariant le cinéma américain et le goût des mots, la saveur d’un murmure littéraire ici assez fiévreux, celui des voix de la conscience de Dave Robicheaux ou des spectres d’événements lointains.

Tout ici, dans ce Sud à marécages où plane, dirait Burke, « une odeur de serpents morts, de boue âcre et de filaments de jacinthe pourrie », est affaire de malédiction. Interprété par Tommy Lee Jones, l’inspecteur ravagé doit mener une enquête qui mêle inextricablement crimes, violences, mensonges de tout temps. Dans la brume électrique exhume des cadavres réels et mentaux qui se font écho, interroge la fatalité d’un mal qui saccage une région, et, au-delà, un monde en désagrégation.

Jazz band

Nouvelle orléans

Ce sont les corps de jeunes filles victimes de meurtres sexuels, retrouvées bouche bâillonnée et poignets ligotés au chatterton. C’est le squelette d’un Noir lynché, victime d’une traque raciste. Ce sont les fantômes de soldats confédérés de la guerre de Sécession qui apparaissent à Robicheaux comme autant d’hallucinations. C’est l’exhumation de son propre secret : la plaie morale, non cicatrisée, d’avoir été jadis le témoin impuissant de l’assassinat d’un homme noir par deux Blancs, sans rien pouvoir faire.

Ce polar métaphysique baigne dans une mélancolie tragique, la vision des crabes bleus qui courent sur une dépouille humaine et une atmosphère si humide que les moustiques ont bouffé les chauves-souris. Il dépeint le combat du droit, de la solidarité, des gens de bien contre le crime organisé, la magouille politique, la perversion sexuelle, l’univers des cupides et des malfaisants. Galerie de fripouilles dont un psychopathe en vadrouille et un mafieux porté sur les filles de rien et le base-ball. Ce gros lard patibulaire s’adonnait, dans le roman de Burke, au trafic de cassettes pornos ; Tavernier l’a rendu coupable de détournement des fonds d’Etat dévolus aux reconstructions des maisons décimées par le cyclone Katrina. Le fait est avéré, et la manière dont le cinéaste intègre les désastres de l’ouragan dans son film (travelling sur les masures en chaos) est l’un des signes de sa manière d’investir un sujet, un pays, une culture. C’est peu dire que la Louisiane, ici, est loin de n’être qu’un décor : elle transpire de l’image, sa musique imbibe la bande-son, des blues cajuns de Clifton Chénier aux rades à bastringue. Robicheaux la parcourt en pick-up et Tavernier la filme en plans fluides, cadres majestueux. Dans la brume électrique se différencie d’un polar ordinaire par l’intelligence de sa mise en scène, le refus des plans explicatifs ou trop attendus, l’équilibre entre les scènes relevant de l’enquête, interrogatoires ou pulsions de violence rageuse, et celles qui dépeignent la vie sociale et domestique.

Tout autant que la détermination musclée avec lequel le flic peu orthodoxe démantèle les réseaux de la pègre, ce que l’on en retient est la manière dont il nourrit ses lapins ou parle d’une salamandre, cette complicité charnelle qui le lie à son épouse, le dévouement de celle-ci aux côtés des nonnes activistes qui aident les sans-abri, le caractère mythologique des apparitions du général sudiste John Bell Hood.

Et ce leitmotiv de la mémoire, cette sarabande de morts qui minent le présent, ce cynisme humain qui risque de rendre la planète inhabitable. Pour un Robicheaux christique , flic entre deux âges et deux générations, l’enjeu dépasse la mission policière locale: Il s’agit de l’avenir de la race humaine.

The Sazerac

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