Martin Luther King 4/4/1968

Martin Luther King est à peine arrivé à Memphis Tennessee qu’il reçoit un coup de fil anonyme.
«Fais ta prière, négro, tu n’as plus longtemps à vivre»
Le matin du 4 avril, il a certainement oublié cette menace et la fatigue de la veille qui l’a fait s’écrouler après un sermon
à l’église Mason Temple.
Le temps est à l’orage sur Memphis.
Martin Luther King s’est levé tard et d’humeur joyeuse dans le Lorraine motel, un des rares établissement à accepter les gens de couleurs.
Il doit se rendre à un dîner «  soul food » chez le révérend Samuel Billy Kyles avant d’aller au meeting de soutien des éboueurs de la ville. Il plaisante avec son équipe, sa garde rapprochée, téléphone à ses parents et leur dit qu’il les aime.
Dehors Ben Branch joue du saxo. La musique attire King sur le balcon.
« Ben, prévois de jouer Precious Lord, Take My Hand (Seigneur, prends ma main) à la réunion de ce soir. Joue-le de la plus belle manière. »

http://www.youtube.com/watch?v=as1rsZenwNc

Il s’avance encore un peu, sourit et s’ effondre, transpercée par une balle .30-06 tirée par un Remington modèle 760.
Le 4 Avril 1968 18h01 à Memphis Tennessee, James Earl Ray, un raciste blanc, a éteint la voix de Martin Luther.
Ses amis à l’intérieur de la chambre du motel entendent des coups de feu et courent sur le balcon..
Ralph Abernathy s’agenouille et retire le carton du col ensanglanté de la chemise de King.
« Ça c’est le sang versé de Martin Luther King pour nous. »
Dit il en pleurant.
Jesse Jackson plonge les mains dans le sang et les pose sur sa chemise blanche. Un geste à la fois d’appropriation de l’héritage et de transmission; Une espèce d’onction messianique.

Dans son dernier sermon King évoquait des temps difficiles à venir et la possibilité que sa vie soit écourtée.
« Ce n’est pas vraiment important ce qui arrive maintenant… Certains ont commencé à […] parler des menaces qui se profilaient. Qu’est-ce qui pourrait m’arriver de la part d’un de nos frères blancs malades… Comme tout le monde, j’aimerais vivre une longue vie. La longévité est importante mais je ne suis pas concerné par ça maintenant. Je veux juste accomplir la volonté de Dieu. Et il m’a autorisé à grimper sur la montagne ! Et j’ai regardé autour de moi, et j’ai vu la terre promise. Je n’irai peut-être pas là-bas avec vous. Mais je veux que vous sachiez ce soir, que nous, comme peuple, atteindrons la terre promise. Et je suis si heureux ce soir. Je n’ai aucune crainte. Je n’ai peur d’aucun homme. Mes yeux ont vu la gloire de la venue du Seigneur ! » Il est déclaré mort au St. Joseph’s Hospital à 19 h 5.

Une poche de son costume contient le brouillon du prêche pour le dimanche suivant. Un texte inachevé, court, d’une noirceur totale, d’une intense radicalité, violent, allégorique et prémonitoire intitulé « pourquoi l’Amérique peut aller en enfer».
La mort de Martin Luther King provoquera la colère du monde,
L’écrivain James Baldwin dira ce jour là « On ne pouvait plus se faire d’illusions sur les américains, on n’osait plus rien attendre de la masse vague et immenses qu’ils formaient »

Dix ans plus tard on rend unanimement hommage au doux rêveur
du discours de 1963, «I have a dream».

En 1983 Ronald Reagan instaure le Martin Luther King day.
De son vivant, il était fustigé comme « antiaméricain », harcelé par le FBI, et jeté en prison une trentaine de foi.
Le révérend à la foi révolutionnaire devient « mainstream » , lisse.
25 ans après sa mort, Bill Clinton récupère King pour critiquer une certaine culture de la violence chez les jeunes noirs.
« King n’est pas mort pour que vous vous entre-tuiez »
Une façon de calmer les soubresauts du mécontentement noir.
La victoire d’Obama sera décrite comme la revanche posthume de Martin Luther King. Cela ne durera qu’un temps. Le sort des Afros américain c’est transformé mais on est loin d’une société ouverte et fraternelle. Même Donald Trump qui traite Haïti et l’Afrique de «pays de merde» parlera de son « héritage de justice d’égalité et de liberté.
«il n’y a certainement pas de figure dans l’histoire récente américaine dont la mémoire a été à ce point déformée et pervertie, le message vidé de son sens les paroles dépouillées de leur contenu» dit Thomas J Sugrue, un des historien les plus respecté de sa génération.

L’image de King est affadie, privée de son pouvoir de subversion, mais ses textes et ses mots sont là pour qui veut bien les chercher.
La récupération infinie a assez durée et les historiens comme Vincent Harding rappellent la radicalité de King
Pour le comprendre, il faut lire « the inconvenient hero » , le héros gênant où par exemple Harding cite le discours de 1967 à l’église de Riverside à New York. Prêche virulent contre la guerre du Vietnam où le réverend accuse les Etats Unis « d’etre le plus grand pourvoyeur de violence dans le monde »
Ou bien « From civil rights to human rights », des droits civiques au droits de l’homme, de Thomas Jackson.
« Il l’a dit et répété jusqu’à la fin, il n’est pas un homme de consensus » rappelle l’auteur. Au contraire, « il a appelé ouvertement et avec toujours plus de force à une redistribution radicale du pouvoir économique et politique dans les villes américaines, le pays et le monde »
Lors de la « marche sur Washington pour l’emploi et la liberté »
intitulé exact de cette manifestation, où il prononce son fameux discours, il défend « le tourbillon de révolte » des mouvements en cours, il dénonce les «inqualifiables horreurs des brutalités policières » et le cruel confinement des Noirs dans « les ghettos et les quartiers défavorisés. »
Des propos non repris dans les médias et oubliés depuis.
Il est aussi bon de dire que le révérend n’était pas si éloigné que ça d’un autre leader noir, Malcolm X.
Dans les dernières années de sa vie Malcolm X quitta Nation of Islam et critiqua son nationalisme séparatiste. De son coté, King aussi à la fin de sa vie accentua sa critique du capitalisme, de l’impérialisme américain et développa des perspectives pas si éloignées du Black Power tout en restant inflexible sur le refus de la violence.

Le soir de l’élection de Barak Obama , Jesse Jackson pleura d’émotion dans Grand Park à Chicago. Tout le monde comprit à qui il pensait. L’ombre de Martin Luther King était présente.
A l’heure du bilan des deux mandats d’Obama, on a compris que King allait beaucoup plus loin dans sa critique des institutions américaines, du capitalisme et dans sa vision d’une démocratie rénovée.

Au fond il n’y aura jamais de victoire pour le révérend Martin Luther King. La démocratie aux Etats Unis et partout dans le monde n’est jamais achevée.

Je n'ai aucune crainte.

Révérend Martin Luther King