Quand nous parlons de masque et de rôle nous pensons immédiatement au théâtre , au cinéma ou à carnaval. Des activités qui semblent très éloignées de notre quotidien.
Cependant nous entrons plusieurs fois par jour, sans forcément nous en rendre compte, dans la peau d’un personnage que nous connaissons plus ou moins bien.
Certains jouent à tour de rôle des personnages totalement différents d’un contexte à un autre, professionnel, familial, amical ou simplement social, pendant que d’autres gardent une certaine cohérence et une adaptation parfaite dans leurs caractéristiques.
Aligner ce que je suis, ce que je pense que je suis, ce que je montre que je suis et ce que je fais est un bon début de cohérence.
Nous remplissons des rôles quotidiennement qui sont tous très différents par leurs contenus, et nous essayons de faire en sorte d’être le plus en adéquation dans les différents contextes.
Un rôle est une sorte d’enveloppe dans laquelle nous nous glissons en fonction du contexte dans lequel nous évoluons. Ainsi, nous pensons ne pas jouer un rôle mais remplir notre rôle en fonction du contexte dans lequel nous nous trouvons. Il y a des rôles professionnels, mais aussi familiaux, fils, époux, père qui sont aussi des rôles à part entière, sociaux , amicaux et un qui est le rôle personnel, soi vis à vis de soi.
«La vie est une représentation théâtrale.» Socrate a débattu, dans Le Banquet, que le genre théâtral (comédie ou tragédie)était le plus proche de la vie réelle.
Nous pouvons analyser notre interaction avec les autres comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre, comme si la vie sociale était une succession de mascarades. Notre personnalité n’est pas un phénomène interne, mais la somme des différents « masques » que nous portons tout au long de notre vie : une dramaturgie sociale.
Lorsque nous nous engageons dans une interaction sociale, nous essayons (consciemment ou inconsciemment) de projeter une image de nous-mêmes, manipulant la façon dont les autres nous perçoivent.Les acteurs théâtraux et sociaux ont comme objectif principal le maintien de la parfaite adaptation dans leur interaction avec l’entourage. Pour transmettre une impression positive, nous devons avoir des compétences dramatiques , les costumes et les accessoires nécessaires. Mais tout cela n’est pertinent que si les acteurs présents sur scène ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la définition de la situation, sur les attentes et les limites de l’interprétation qui nous indiquent implicitement comment s’insérer dans un certain environnement social.
Pour réussir socialement dans cette dramaturgie, il faut réunir des conditions essentielles. savoir se déplacer entre les moments où l’on projette une image pour les autres et notre vie privée, qui est parfois aussi un masque que nous nous mettons devant nous-mêmes, passer facilement de l’un à l’autre, et avoir une garde-robe appropriée à tout moment…
En agissant par nos commentaires, nos expressions de surprise, d’approbation, d’ironie ou de déplaisir nous façonnons l’opinion que les autres ont de nous: nous en sommes conscients et donc nous gérons notre discours, nous pesons nos gestes et surveillons nos réactions. A tout moment nous définissons nos rôles en fonction de l’environnement dans lequel nous évoluons, et cherchons à nous y intégrer.
Pendant le spectacle, celui qui ne sait pas comment agir est un danger pour les acteurs et finit par être laissé de côté.
A chaque instant, à chaque interaction, nous nous adaptons au rôle pour nous définir devant les autres. Nous sommes comme des acteurs de séries dont le personnage évolue en fonction des réactions du public. Nous consacrons notre vie à nous adapter au personnage, au moins jusqu’à ce que nous devions jeter ce masque quand nous sommes virés d’un travail, que nous divorçons etc.
Dans cette dramaturgie sociale, nous essayons de présenter une image idéalisée à chaque fois que nous agissons, pour la simple raison que nous sommes convaincus qu’il peut être bénéfique de cacher des parties de nous-mêmes : Nous cachons le processus de préparation de notre rôle. Nous cachons le sale boulot fait pour obtenir le rôle. Nous cachons ce qui nous empêcherait de continuer à agir.
Comme l’a dit Ervin Goffman : « En tant qu’acteurs, les individus sont soucieux de maintenir l’impression qu’ils suivent de nombreuses règles qui peuvent leur être appliquées pour les juger, mais un individu, en tant qu’acteur, n’est pas préoccupé par le problème moral de se conformer à ces règles, mais par le problème amoral de faire une impression convaincante du fait qu’il les respecte. Notre activité est basée, principalement, sur la morale mais, malgré cette réalité, en tant qu’acteurs, nous n’y portons aucun intérêt. Comme acteurs, nous sommes des marchands de Moralité ».
Le masque est un sujet de réflexion intéressant qui relie l’anthropologie et la psychologie.
Le masque qu’on porte sur soi ici ou ailleurs est un objet ambigu et paradoxal. Il révèle et dissimule, cache et identifie celui qui le porte, se situe entre l’être et le paraître. Il se situe à l’interface entre l’intérieur et l’extérieur , entre l’individu et le groupe. Dans certains groupes humains, il relie le monde visible au monde invisible , les morts aux vivants l’humain et l’animal.Enfin il peut être sacré ou profane , de rituel ou de divertissement, permettre la transgression et l’inversion des règles sociales.
En psychologie, il est question des masques qu’on porte en soi. Le masque peut être utilisé pour symboliser des représentations inconscientes ou certains mécanismes de défense tels que le clivage ou le refoulement. Chez Jung, le masque se rattache à la persona, un archétype qui représente le masque social que nous portons tous.
La notion de persona correpond chez Winnicott au faux soi. »Il faut un univers suffisamment bon pour que l’enfant se développe convenablement, sinon, il se construira une personnalité d’emprunt », expliquait Winnicott. Le faux self est le résultat d’une construction infantile formatée par les comportements qui amènent de l’amour ou du rejet. Par peur de ne pas être aimé ou reconnu on s’habitue à refouler certaines partie de notre personne, ces parties écartées sont des parties de notre moi, « le moi perdu ». La personnalité qui se dessine va développer des qualités qui procurent de l’affection, de l’appréciation pour laisser de côté ce qui provoque rejet et désapprobation. C’est en quelque sorte la face socialisée de l’individu, à distinguer du faux soi pathologique ou « fausse personnalité ».
Ce deuxième type de faux self s’organise pour préserver l’individu qui se développe dans des conditions insuffisamment bonnes. Il réagit alors en fonction des contraintes de son environnement et non de ses besoins propres qui lui deviennent étrangers. La spontanéité ou la créativité, de même que l’authenticité dans les relations aux autres ne font pas partie de ses expériences, contrairement au sentiment d’être vide et sans affects. Pour certains, une crainte de l’effondrement s’exprime sous la forme d’une peur de devenir fou: «Le faux self protège le vrai self qu’il masque en réagissant à sa place aux carences d’adaptation et en se conformant aux demandes.»
Le faux-self dans sa dimension pathologique témoigne d’une sur-adaptation qui est une formation réactionnelle aux contraintes de l’environnement.
La conflictualité centrale se situe entre la nécessité d’être à la fois soi même et membre d’un groupe.
Un enfant qui développe un faux soi risque d’éprouver ce que Winnicott nommait des « difficultés de conduites sociales« , allant du renfermement sur soi (repli, timidité excessive, communication réduite, voire inexistante ) au besoin paroxystique de se montrer (exubérance, refus de l’autorité, etc. ). Dans l‘une ou l’autre situation il s’agit d’un masque qui empêche d’être en phase avec soi-même et avec les autres. S’il ce faux self est exagéré, la personne se perd elle-même pour plaire, être aimé, reconnue ou ne pas être rejetée. Il devient alors urgent de tenter d’identifier les masques en nous, les parties sociales qui ne correspondent pas réellement à ce que nous sommes.
Deux questions se posent: combien de temps passons nous à chercher à plaire ou être aimé au lieu d’être nous même ? Quelles sont les parties de faux soi que l’on aimerait lâcher et les parties de «moi perdu » retrouver ?
Un masque est un artifice ayant pour but de nous faire passer pour quelqu’un d’autre, de nous cacher en espérant que les personnes rencontrées ne nous reconnaissent pas.
Le masque social est quasiment pareil à ceci près que le visage reste identique et que le masque prend la forme des différents comportements, attitudes ou discours énoncés dans les différents contextes que la personne rencontre.
Le principal risque est que le port permanent d’un masque le rend de plus en plus difficile à enlever. C’est un peu la métaphore qui est illustrée dans le film “The Mask” avec Jim Carrey où le personnage se sentant très bien avec son masque et accomplissant des choses extraordinaires, ne souhaitait plus le retirer.
Après un certain laps de temps avec ce masque, nous risquons de perdre de vue notre propre identité. Le masque se substitue alors à notre être intérieur.
C’est typiquement ce qui se passe au travail ou les sources de stress et de mal-être abondent. Pressions, injonctions contradictoires, chantage à l’emploi etc. Il n’y a qu’à regarder les statistiques des suicides dûs au travail ou la courbe ascendante des burn out.
Le port du masque est obligatoire. Mais il est loin d’être une protection suffisante.
Tout d’abord tôt ou tard le masque tombe car il est fragile et il suffit d’un petit grain de sable dans la machine pour que le masque se fissure et se brise. Il est grand consommateur d’énergie: porter un masque au quotidien n’est pas de tout repos. Maintenir stable le conflit des forces en présences, à savoir votre masque et votre véritable identité est épuisant psychiquement.
Il exerce sur vous l’exact contraire de ce qu’il montre aux autres: Le masque montre aux autres que vous êtes heureux? En coulisse, il vous rend malheureux. Le masque montre que vous êtes sûr de vous et confiant? Il vous déstabilise et vous fait douter. Le masque montre que vous êtes très entouré? il ne fait que vous isoler. Le masque montre que vous êtes un battant? il vous affaiblit d’autant plus.
Plus longtemps on travaille avec les mêmes personnes moins le masque est efficace et du coup on en reste à des relations superficielles.
Une petite pensée de Claude Aveline pour finir:
Un jour par an, le Mardi Gras par exemple, les hommes devraient retirer leur masque des autres jours
https://www.theatre-du-soleil.fr/fr/notre-theatre/histoire-et-sources/les-masques-176
https://fr.wikipedia.org/wiki/Donald_Winnicott