La maîtrise de l’œuvre par l’artiste est un sujet récurrent de mes rencontres avec le public. Les questions sur la conception, la technique, le temps reviennent sans cesse. Comme si le spectateur avant de voir une œuvre d’art voyait un objet dont je maîtrise la conception et la réalisation comme peut le faire un artisan par exemple. Je vais essayer ici d’expliquer ce qu’est mon expérience de la création artistique au travers de cette supposé maîtrise.

cyborg?

Je suis l’auteur d’ œuvres d’art qui appartiennent à un ensemble constituant mon œuvre. Elle est une création qui fait exister ce qui n’existait en aucune façon auparavant. Cela suppose que je suis un créateur qui crée en fonction d’une inspiration, d’un besoin. Je suis censé posséder des techniques et des connaissances : les outils et leur adaptation aux divers matériaux que j’utilise, l’histoire de l’art, la capacité à tirer des enseignements des techniques et procédés mis au point par mes prédécesseurs. Sans pour autant que cela suffise à faire de moi un artiste. Je dois aussi posséder un talent qui me permettent de donner formes à mes inspirations, d’imposer à un support la forme que je souhaite, pour créer une œuvre inédite représentant mes aspirations.

Arthur Rimbaud

Je disais plus haut que créer une œuvre d’art c’est faire exister ce qui n’existait en aucune façon auparavant. Cela signifie que je ne me contente pas d’innover, que je découvre ce que je produis et que ce que je produis n’est une création que si cela n’est pas définissable à l’avance. Maîtriser un art c’est donc avoir une aptitude à produire intentionnellement un résultat selon une façon de faire que tout le monde ne possède pas, ne peut pas posséder et qui ne s’explique pas.

Kant disait «seul ce qu’on est incapable de faire immédiatement, alors même qu’on en possède totalement la science, mérite le nom d’art».

Au delà de mon cas particulier, l’artiste est l’auteur de son œuvre et on identifie souvent l’un par l’autre comme si la personne de l’artiste s’incarnait dans ses créations par la grâce d’un style, d’un talent qui lui sont propres.

Est ce que je suis le maître de mon œuvre?

Si je fais preuve d’une certaine maîtrise dans mon domaine, il n’est pas évident que je sois le maître de mon œuvre. Elle m’ échappe de plusieurs manières. Dans une certaine mesure je ne contrôle pas le processus d’élaboration et je ne maîtrise pas la réception dont mon œuvre fera l’objet.

Mon expérience personnelle tend à montrer que je n’ exerce pas un contrôle total sur le processus de création.

Mis à part mon expérience, intuitivement il me paraît que l’œuvre d’art présente des caractéristiques qui m’emmène à penser qu’elle a pour origine un facteur qui résiste à la rationalité: Ce qu’on peut appeler don, talent et pour les plus grands le génie.

Le travail de l’artiste ne se résume pas à une mystérieuse inspiration ou à un don Divin. Une relation tissée avec les Dieux qui nous parleraient par son entremise. L’artiste enchanté par les Muses.

J’emploie le mot travail à dessin. Je peux parfois, après une gestation plus ou moins longue, élaborer en moi même une image que je serai capable de réaliser d’un seul jet si je puis dire parce qu’elle est déjà conçue dans mon cerveau esthétiquement et que j’ai la capacité technique de reproduire exactement ce que j’ai imaginé. Sans pour autant que ça présage de la qualité de ma création. Il n’est pas dit qu’elle ne terminera pas à la poubelle.

Je peux aussi passer plusieurs semaines à élaborer un effet que j’ai en tête mais que je ne sais pas réaliser.

La réalité de mon vécu en tant qu’artiste est prosaïque et matérielle C’est un travail, un effort conscient et volontaire plein de brouillons, d’ébauches, de recherches, de destruction de ce que je considère comme mauvais, de répétitions, d’essais et d’échecs.

Je dois aussi avouer que parfois je ne sais pas où je vais. Je peux choisir des images pour évoquer des sentiments que j’ai en moi mais il est possible que le processus s’inverse. Les images appellent d’autres images, des textures appellent d’autres textures, une technique appelle une autre technique. Je peux dire que parfois je suis le spectateur de l’accomplissement de mon œuvre.

Il est important de comprendre pour l’artiste mais aussi pour le public qu’il est impossible de produire à volonté des œuvres d’art.

Ceci étant dit, d’où viennent les idées originales?

Mon expérience la plus personnelle me met en présence d’idées qui me viennent sans que j’en connaisse l’origine et de résultats de pensées dont l’élaboration me demeure cachée. Plus simplement, une pensée vient quand elle veut et non pas quand je veux.

Si l’idée vient à la conscience sans intervention des muses ou de la nature, elle vient de l’inconscient.

Beaucoup de choses on étés écrites depuis l’avènement de la psychanalyse sur création artistique et les rapports entre la névrose ou la psychose et la création artistique ont été largement étudiés.

Mon expérience de la psychanalyse m’a appris que la création, le rêve ou le délire sont des processus qui se différencient par leur rapport respectifs avec l’imaginaire et le réel. Cette différence se manifeste particulièrement sur le plan de l’élaboration. Le point de départ est probablement pulsionnel. On doit y retrouver à l’œuvre une énergie psychique vitale ayant sa source dans la sexualité au sens large, c’est-à-dire incluant génitalité et amour en général (de soi, des autres, des objets, des idées). Une libido qui s’investit sur sa propre personne et une libido qui s’investit sur un objet, sur une personne extérieure.

La première investit la création pour elle même, pour lui donner vie en quelque sorte, la seconde visant à la rendre communicable.

Dans ce sens la création est une émanation de mon être. Elle dramatise des aspects partiels de moi même. Elle met en œuvre les parties les plus intimes de l’être. « Mon cœur mis à nu » disait Baudelaire. Je suis artiste d’abord pour moi même avant de l’être pour autrui.

Bibliothèque d’Alexandrie

Ce n’est que dans un second temps que j’envisage de livrer ma création au public si je la juge digne d’être proposé à l’appréciation esthétique d’un public. Pour cela il m’appartient de fournir le travail de m’en séparer et de laisser à mon œuvre seule le soin de me représenter.

Il est clair qu’à ce moment là ma création m’échappe , que je ne la maîtrise absolument pas. Je passe la main à un public qui jugera de sa qualité suivant ses propres critères éthiques et esthétiques qui appréciera la virtuosité de l’exécution et l’originalité.

Je ne suis donc pas le propriétaire de mon œuvre au sens où chaque spectateur est libre d’interpréter et de vivre librement sa relation avec elle. Il interprète l’œuvre comme bon lui semble en fonction de son état d’ âme du moment, par ses impressions, par sa connaissance de l’histoire de l’art. Je ne livre pas mon travail avec un mode d’emploi indiquant la façon dont il faut le comprendre.

Je suis dépossédé de mon œuvre dés que je la rend accessible à autrui. Je ne maîtrise ni le destin ni la réception publique de mon œuvre.

somewhere in Psirri

Blue bird

Je suis donc loin d’une notion de maîtrise. Au contraire.

Je dois avoir la faculté de me détacher de mon œuvre. D’abord pendant l’acte créateur en me laissant aller à mon inspiration, me rendre disponible pour l’accueillir et accepter la part de hasard au cours de la réalisation . Une fois l’œuvre achevée je dois accepter qu’elle ne m’appartient plus.

https://www.youtube.com/watch?v=XGCCWn7huDA

Articles de mon blog sur la création

https://pixbyroland.com/la-creation-artistique/

https://pixbyroland.com/el-desdichado-nerval-la-melancolie/